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15/01 Rapport IGSN

Centrales nucléaires et modulation des ENRi


 

Extraits du rapport 2024 de l’inspecteur général pour la sûreté nucléaire et la radioprotection – Amiral (2S) Jean Casabianca - Paris le 15 janvier 2025

 

Rapport total :    https://igsnr.com/wp-content/uploads/2025/02/Rapport-IGSNR-2024.pdf

 


 

Le nucléaire, variable d’ajustement   (Rapport IGSNR 2024 p. 12-13)


Pour des raisons économiques, les coûts fixes étant élevés et les coûts variables faibles, la plupart des centrales nucléaires mondiales fonctionnent en régime de base, c’est-à-dire à pleine puissance. La part de l’énergie nucléaire dans les bouquets énergétiques est relativement faible et, en l’absence d’une politique de décarbonation, l’équilibre production/consommation s’effectue par des centrales thermiques à gaz ou au charbon, aux coûts fixes faibles et aux coûts variables élevés.




Dès les années 80, à la suite du choix politique d’un mix énergétique majoritairement électronucléaire, les réacteurs français ont été dotés de la capacité à moduler leur puissance (suivi de charge) afin d’équilibrer production/consommation et de réguler la fréquence du réseau (cf. rapport 2023). Cette souplesse du système de contrôle de la réaction neutronique, dit des grappes grises, est une performance technique.

Auparavant cette manœuvrabilité (baisse puis hausse de 80 % en 30 minutes) était sollicitée sur une partie de sa plage, lors des pics de consommation du matin et du soir. L’arrivée massive de nouvelles sources d’électricité renouvelables (EnR), à la fois intermittentes et prioritaires sur le réseau, a multiplié les variations de charge. Elles ne sont pas sans risque sur la sûreté du système électrique (dont le blackout) ni sans contrainte sur le fonctionnement de nos installations. À long terme, elles remettent en cause le modèle économique. D’une douzaine de réacteurs modulant sur une journée, il n’est plus rare qu’environ la moitié du parc nucléaire en service soit désormais concernée. Les équipes de conduite sont rompues à l’exercice mais une variation de puissance n’est pas une opération anodine. Exclusive de toute autre activité, elle légitime la sanctuarisation de la salle de commande. L’imprévisibilité et le faible préavis de ces modulations profondes perturbent la planification des activités, les maintenances programmées et les essais périodiques, touchant ainsi l’ensemble des métiers et des acteurs, prestataires compris. De manière plus macroscopique, l’organisation des arrêts techniques devra être ajustée et nécessitera de conserver disponibles de nombreux réacteurs pour pallier l’intermittence des EnR. En hiver, au moment des grands appels de puissance sur le réseau, l’éolien, assujetti aux régimes météorologiques anticyclone/dépression, peut varier de plus de 20 GW en quelques heures. De même, en période d’ensoleillement, le nucléaire s’efface en milieu de journée et doit répondre au pic d’appel à la nuit tombée. De souplesse de fonctionnement, la modulation s’est transformée en contrainte, le nucléaire devant faire face à la demande, seul ou avec l’hydraulique, sauf à se résoudre à employer des moyens thermiques et carbonés. En outre, le suivi de charge a forcément un impact sur la machine, plus fréquemment sollicitée par des cyclages profonds. L’augmentation des fortuits n’est pas flagrante mais c’est dans la durée que les effets seront appréciés. J’estime que la priorité donnée aux EnR, dans une complémentarité unilatérale nucléaire-EnR, conduit à des variations de puissance dont il serait d’autant plus opportun de se dispenser qu’elles ne sont jamais anodines sur la sûreté, notamment la maîtrise de la réactivité, et sur la maintenabilité, la longévité et le coût d’exploitation de nos installations.



Tempérer le suivi de réseau (p.19)

 

 Le suivi de réseau se pratique depuis des décennies pour accompagner les pics de consommation du matin et du soir. Mais le développement massif des EnR intermittentes, prioritaires sur le réseau, contraint les réacteurs nucléaires à beaucoup plus de manœuvres (2 000 en un semestre). Moins anticipables, ces dernières interviennent à tout moment de la journée, voient leur programme varier en permanence et touchent un plus grand nombre de réacteurs. J’ai aussi observé la pression du gestionnaire du réseau sur les salles de commande. Si le suivi de réseau dans le cadre du domaine autorisé est facteur d’entraînement et de compétences, sa généralisation met certaines équipes à l’épreuve. Il engendre aussi des interrogations, lorsqu’il faut arrêter un réacteur que l’on vient de redémarrer après un arrêt de tranche intense, pour donner la priorité à une autre énergie décarbonée. Une réflexion s’impose pour garantir une production nucléaire en base, mieux équilibrer entre producteurs la charge d’adaptation à la consommation et donner davantage de préavis aux variations de puissance des réacteurs afin de garantir la préparation et la sérénité des équipes de conduite


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