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29/01 ASN et modul nucl.

Les Echos


Publié le 28 janv. 2025  à 19:32



Nucléaire : le « stop and go » d'EDF suspecté de fragiliser les réacteurs français


Selon l'Autorité de sûreté, la modulation de la production d'électricité nucléaire pourrait être l'un des facteurs explicatifs de la crise qui avait mis à l'arrêt la moitié des réacteurs français en 2022. Un « stop and go » pourtant indispensable avec l'essor des énergies renouvelables.




Par Amélie Laurin



Une « production d'électricité pilotable, décarbonée, au service de la transition énergétique ». Tels sont les principaux atouts du parc nucléaire français, qui assure plus de 60 % de l'approvisionnement du pays. Mais le premier pilier de la promesse d'EDF, le « pilotage » des centrales, pourrait être plus fragile que prévu.


Les variations de production du parc, une spécificité tricolore, pourraient en effet être l'une des causes - parmi un certain nombre d'autres facteurs - de la crise de la corrosion sous contrainte, a expliqué ce mardi l'Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), à l'occasion de ses voeux à la presse.

Ce phénomène inédit avait mis à l'arrêt près de la moitié des réacteurs nucléaires français en 2022, en pleine crise énergétique. En cause : des microfissures situées sur les tuyauteries de certains circuits de refroidissements des centrales françaises.


Le rôle de l'oxygène dans le circuit de refroidissement


Caractéristique française, la présence d'oxygène dans l'eau de refroidissement du circuit primaire des réacteurs est l'une des origines possibles de ces anomalies, selon l'ASNR. Or, la teneur en oxygène peut augmenter dans les tuyaux lors des variations de régime d'un réacteur.

« La modulation pourrait être un des facteurs expliquant la corrosion sous contrainte via l'effet des appoints en eau qui, sur le parc français, ne sont pas tous désaérés, explique Olivier Dubois, commissaire à l'ASNR. Il peut y avoir des appoints d'eau avec une concentration en oxygène un peu plus importante ».


Pour autant, si le phénomène est « identifié comme un suspect de la corrosion sous contrainte », « la culpabilité de ce suspect n'est pas avérée aujourd'hui », prévient le commissaire. L'ASNR a identifié plusieurs causes possibles, comme des phénomènes thermo-hydrauliques et des effets liés à la réparation des soudures.

Si la responsabilité de la modulation du parc était avérée, ce serait un défi de taille pour EDF. L'énergéticien public pilote en effet davantage la production de ses réacteurs que dans le passé, pour s'ajuster à la production intermittente des énergies renouvelables qui pèsent de plus en plus dans le mix électrique français.

Cette variation de production liée au soleil et au vent fait grincer des dents chez l'énergéticien public, particulièrement critique envers le fort développement du photovoltaïque.


Questions sur le prolongement du parc jusqu'à 60 ans


L'ASNR ne veut néanmoins pas prendre part au débat entre les pro-nucléaire et les pro-renouvelables. « Il ne faut pas opposer les énergies comme le dit le gouvernement et le président de la République », déclare Pierre-Marie Abadie, le nouveau président de l'ASNR.

Il rappelle que le développement des énergies vertes et l'allongement de la durée de vie des centrales sont « deux leviers » pour conserver des marges de manoeuvre, en matière de sûreté. Par exemple face aux aléas possibles ou pendant les chantiers des futurs réacteurs EPR2.


L'examen de la prolongation des centrales est la « tâche première » de l'ASNR, pointe son président. Mais « l'effet potentiel de la modulation [de la production] sur le vieillissement » du parc fait aussi partie des études que doit mener l'autorité, « en particulier dans la perspective d'une poursuite de fonctionnement sur le long terme, au-delà de 60 ans », pointe Olivier Dubois. « Il y a probablement certains composants des centrales et des réacteurs qui sont affectés par la modulation, notamment certaines parties du [circuit] secondaire des réacteurs, et d'autres probablement beaucoup moins affectés », précise le commissaire.

Ces dernières semaines, EDF a commencé à fournir au régulateur des éléments techniques en vue d'une possible prolongation des réacteurs de première génération (900 MWe) au-delà de 60 ans. L'instruction du dossier commencera fin 2025 et débouchera sur un avis de l'autorité fin 2026.


Vibrations sur l'EPR de Flamanville


L'ASNR ne répond pas sur la probabilité ou non de survenue de la corrosion sous contrainte sur l'EPR de Flamanville. Alors que la France souhaite construire six EPR2, « il faut se mettre dans les conditions les plus favorables pour éviter ce phénomène » sur ces futurs réacteurs, indique simplement Olivier Dubois.

L'ASNR a relevé 49 événements de sûreté de niveau 0 et 1, sans conséquence sur les personnes et l'environnement et principalement d'origine humaine, liés à la mise en service de l'EPR de Flamanville. L'Autorité fera un bilan des incidents avec EDF, et pourrait se prononcer d'ici une semaine environ sur sa demande d'autorisation de continuer la montée en puissance au-delà de 25 %.


Interrogé sur le phénomène de vibrations qui pourrait éventuellement freiner la montée ne charge, comme ce fut le cas sur d'autres EPR en Chine, l'ASNR explique qu'EDF a apporté des « modifications » sur le réacteur. « Nous n'avons pas connaissance de nouveaux phénomènes vibratoires qui seraient apparus sans être attendus et qui mettraient en cause, à date, la montée en puissance du réacteur de Flamanville », affirme Olivier Dubois.


Amélie Laurin


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