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La Tribune
11 juin 2024
Energie & Environnement
Après la dissolution, le grand flou sur
l’avenir énergétique de la France
Alors que le gouvernement devait consulter les Français ce mois-ci sur la trajectoire énergétique de la France, l’annonce de nouvelles élections législatives chamboule ce calendrier. Lequel s'était déjà vu bousculer par le gouvernement, qui avait décidé de contourner le Parlement sur ce sujet sensible, privant la France d’une loi en la matière. De quoi laisser le champ libre au Rassemblement national s’il arrivait au pouvoir en juillet. Explications.
Marine Godelier
11 Juin 2024,
Et rebelote. La trajectoire énergétique de la France, qui devait, à l'origine, être fixée par le biais d'une loi avant l'été 2023, se trouve à nouveau en suspens. Pour savoir combien de nucléaire, de panneaux solaires ou encore d'éoliennes mettre sur pied dans le pays, et surtout comment procéder, un vaste débat public devait commencer lundi 10 juin avant l'adoption d'une feuille de route « d'ici à la fin de l'année », selon le gouvernement. Mais la dissolution de l'Assemblée nationale annoncée la veille par Emmanuel Macron pourrait remettre les compteurs à zéro.
Jeudi dernier encore, la Direction générale de l'Energie et du Climat (DGEC) avait pourtant réuni les principaux acteurs du secteur, pour leur faire savoir que la concertation aurait bien lieu, avec un léger retard. Elle devait finalement être lancée le 27 juin pour un mois. « Au regard de la période de réserve qui s'ouvre dans les prochains jours, celle-ci se tiendra en juillet afin de permettre au plus grand nombre d'y participer », affirme-t-on aujourd'hui au cabinet du ministre délégué à l'Industrie et l'Energie, Roland Lescure. Mais la promesse peine à convaincre :
« Cela paraît tout simplement injouable : comment peut-on préparer un tel débat à quelques jours d'une élection législative qui mènera forcément à une évolution de la composition du gouvernement ? », s'interroge Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables (SER). Roland Lescure est d'ailleurs lui-même candidat dans la première circonscription des Français de l'étranger (Amérique du Nord), a-t-on appris ce mardi.
« Malgré l'urgence, il ne faut plus espérer que le sujet soit réglé avant le deuxième trimestre de 2025, si tant est qu'il le soit en cas de changement de majorité au Parlement », ajoute Alexis Quentin, délégué fédéral affaires publiques France à la CFE-CGC énergies.
Ni loi, ni décret
Et il ne s'agit pas du premier renoncement. Car à l'origine, la programmation énergétique de la France (ou PPE), qui doit définir la répartition des différentes sources d'énergie nécessaires dans le futur, n'était pas censée faire l'objet d'une nouvelle consultation du public. Mais plutôt d'un débat parlementaire, afin d'être gravée dans une disposition législative d'ici à juillet 2023, comme le précise le Code de l'énergie.
Seulement voilà : en avril dernier, le gouvernement avait préféré se mettre hors-la-loi en annonçant qu'il passerait tout par simple décret, et consulterait les Français plutôt que les députés et les sénateurs. L'objectif affiché par l'entourage de Roland Lescure, était alors d'aller « plus vite ». Officieusement, il s'agissait surtout d'éviter un débat parlementaire trop risqué dans le cadre d'une majorité relative à l'Assemblée nationale, où la droite et la gauche s'écharpent sur le développement des énergies renouvelables et celui du nucléaire.
« Résultat des courses : des élections arrivent et il n'y a ni loi ni décret. On est complètement à poil ! Et le prochain gouvernement aura les mains complètement libres pour faire ce qu'il veut », regrette Jules Nyssen.
« Chiffon rouge »
Or, le Rassemblement national ne s'en cache pas : dans son programme pour la Présidentielle de 2022, Marine Le Pen demandait « un moratoire sur l'éolien et le solaire » et un « démantèlement progressif des sites en commençant par ceux qui arrivent en fin de vie » pour l'éolien. Mais aussi une fin de « toutes les subventions dédiées à promouvoir ces procédés », préférant l' « hydroélectricité » la « géothermie », la « relance du nucléaire et l' « hydrogène ». De quoi inquiéter le président du SER :
« Ne faisons pas des éoliennes un chiffon rouge. Elles sont devenues un totem, un marqueur politique sans que plus personne ne réfléchisse au fond des choses. Personne n'est a priori favorable à la construction d'une ligne de métro ou de logements tout près de chez soi. Mais il faut expliquer le bénéfice social par rapport à la nuisance ! », fait-il valoir.
Décidé à se mettre « en ordre de marche », le syndicat des énergies renouvelables prévoit de réunir son Conseil d'administration d'ici aux tout prochains jours, afin de définir la ligne à tenir lors de ces trois semaines de campagne. Côté EDF, le sujet devrait également animer le comité d'entreprise européen, prévu la semaine prochaine.