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Contribution à l’enquête publique
relative au parc éolien de Dunkerque
Le 29 mai 2024
Notre association « Gardiens du Large » est implantée dans le Morbihan et a pour objectif la protection de l’environnement naturel et humain face au projet d’éoliennes flottantes « Bretagne-Sud », face à Groix, Belle-Île et Quiberon. Plusieurs paramètres se retrouvent dans le projet éolien en mer (posé) de Dunkerque et nous souhaitons apporter notre point de vue à la présente enquête publique.
Un impact mineur sur la réduction des émissions françaises de CO2
Les considérations qui suivent ne sont pas question d’opinion mais reposent sur l’inflexible réalité des lois de la physique…
Entre 2010 et 2023, la puissance électrique renouvelable intermittente (éolien + solaire) installée en France est passée de 6,4 à 42,5 GW (x 6,6) ; la production ENR intermittente correspondante de 10,3 à 72,1 TWh (x7), soit de 2 % à 14,6 % de la production totale d’électricité. Cependant cet afflux des énergies renouvelables intermittentes a eu peu d’influence sur le niveau des émissions de CO2 du système électrique, la part prépondérante de moyens de production non carbonés (nucléaire et hydraulique) en étant le déterminant principal ; l’impact le plus marquant sur les évolutions constatées a été d’abord celui de la mise hors service massive des centrales au charbon en 2014, puis en 2022 l’indisponibilité d’une partie du parc nucléaire (force majeure très exceptionnelle).
A défaut de contribution significative à la réduction des émissions de GES, le déploiement massif des ENR intermittentes a imposé sa logique : le petit parc thermique fossile subsistant en France (8%) étant déjà décarboné par les premières ENRi mises en service jusque vers 2010, il n’y a pas eu d’avantage pour le climat à en ajouter ensuite de nouvelles. Le RTE a démontré que depuis lors les flux d’électricité éolienne française ont été majoritairement exportés pour se substituer aux centrales fossiles des pays voisins, cela en général à vil prix, les nuisances et charges des subventions restant en France.
C’est là le sort des projets éoliens offshore en cours, dont celui de Dunkerque.
Ajoutons qu’à mesure que la puissance ENRi installée continue de croitre apparaissent de plus en plus souvent, en périodes de faible demande (par exemple en fins de semaine), des épisodes de surproduction d’électricité renouvelable (périodes ventées et/ou ensoleillées), avec prix spot faibles, voire négatifs. Il n’y a plus place alors pour l’exportation, les pays voisins se trouvant dans la même situation ; des réacteurs nucléaires sont mis alors à l’arrêt pour rétablir l’équilibre offre-demande (ex du week-end des 13-14 avril 2024), affectant leur vieillissement et leur rentabilité. La situation est alors absurde, le nouveau et coûteux investissement éolien décarboné se substituant au nucléaire existant, lui aussi déjà décarboné et amorti. L’arrêt prioritaire des sources intermittentes excédentaires irait de soi… si la règlementation se décidait à évoluer de manière déterminante.
A l’avenir, si la demande devait croître au-delà des puissances des centrales pilotables existantes (avant donc la mise en service du nouveau nucléaire), les capacités éoliennes futures n’étant pas garanties puisque tributaires du vent, il deviendra nécessaire de leur adjoindre des centrales de back-up au gaz, engendrant des émissions de CO2, ou de renoncer à la souveraineté énergétique en recourant, en absence de vent, à des importations elles aussi alors carbonées.
En résumé : absence jusque-là de réduction des émissions de CO2 en France, la majorité de l’électricité éolienne étant exportée, atteintes collatérales à l’outil industriel nucléaire existant, recours impératif à des centrales au gaz émettrices de CO2 en cas d’augmentation forte de la demande, l’éolien industriel, terrestre ou marin n’est pas adapté à la spécificité du système électrique français
Atteintes à la biodiversité
« La transformation à engager dans les trois prochaines décennies est d’une ampleur comparable à celle de la première révolution industrielle » aimait à souligner l’ex-ministre Agnès Pannier-Runacher… Point n’est besoin d’être grand savant pour comprendre que cette « révolution » va accélérer l’industrialisation de la mer littorale, jusque- là relativement protégée. Comment imaginer qu’une telle occupation de l’espace marin, par des machines installées à demeure, leurs auxiliaires immergés et leurs effluents, mais aussi par un surcroît des navigations de services, puisse ne pas impliquer, par mille processus non maîtrisés, une nouvelle régression de la biodiversité ?
Ce déploiement à grande échelle est source de grande inquiétude pour les scientifiques ; le CNPN (Conseil National de Protection de la Nature) qui s’est autosaisi à ce sujet en 2021, déclarait « indispensable l’adoption d’un moratoire sur les projets de parcs off-shore dans l’attente des études nécessaires ».
Surtout l’avis spécifique du CNPN sur le projet éolien de Dunkerque, en date du 12 septembre 2023, constitue un puissant réquisitoire contre le projet – cf extraits ci-dessous :
« Le dossier présenté ne s’inscrit en réalité pas dans une approche prudente visant à retenir des niveaux d’impacts potentiels élevés, bien au contraire. »
« L’emprise géographique du parc envisagé est prédéterminée et n’a pas fait l’objet d’une analyse (…) de recherche de zones de moindre impact à partir des nombreuses données scientifiques disponibles. »
« L’Etat aurait d’autant plus dû renoncer à cette zone de Dunkerque qu’elle se situe en zone Natura 2000, tant au titre de la Directive Habitats (ZSC) que de la Directive Oiseaux (ZPS), et que les contraintes d’activités humaines (double rail de navigation séparée Manche-Mer du Nord, couloir de navigation des ports de commerce locaux, radar, sans toutefois prise en compte des contraintes belges. (…) Le CNPN considérait enfin cette implantation comme l’une des pires situations. »
« Le dossier du porteur de projet EMD-EDF minimise de manière surprenante l’impact du futur parc sur l’avifaune, avec une contradiction entre son dossier de 2023 et celui de RTE de 2021. 35 espèces patrimoniales rares sont concernées, dont 33 volent à hauteur des pales, et 10 espèces cumulent les enjeux les plus forts à l’échelle annuelle. Le dossier rapporte ainsi quelques centaines à quelques dizaines de milliers d’oiseaux marins au lieu de l’estimation d’1,3 million rapportée par le dossier RTE. Les migrations d’oiseaux terrestres la nuit sont complètement occultées par le dossier. » Omission des impacts « pour un nombre nettement plus élevé d’espèces, à commencer par les Mouettes tridactyles et pygmées, les labbes, les Fous de Bassan. »
« Au final, l’analyse est biaisée par la sur-représentation des enjeux halieutiques au détriment des enjeux de conservation des espèces protégées et listées. »
« Globalement le statut de conservation des mammifères marins et des poissons amphihalins (aloses, lamproies) dans ce site Natura 2000 est qualifié de défavorable à très défavorable à l’exception du Phoque veau marin. »
La séquence ERC n’est pas respectée puisque le dossier déclare « qu’aucune mesure d’évitement n’est envisageable puisque la construction et la présence du parc ne peuvent pas être évitées », et donc « aucune alternative réelle n’est présentée ». La mise en œuvre de la séquence ERC et l’objectif d’absence de perte nette ne sont pas respectés par le pétitionnaire et par l’État.
« Globalement, l’analyse finale des enjeux environnementaux sous-estime le nombre d’espèces protégées devant faire l’objet d’une attention particulière dans le contexte de la séquence ERC(…). A partir de l’analyse des enjeux, aucun poisson marin, ni amphihalin n’est finalement retenu malgré la valeur patrimoniale de espèces présentes. Et des espèces d’intérêt patrimonial comme le Dauphin à nez blanc (Lagénorhynque à bec blanc) et le Grand dauphin ne sont pas prises en compte. Parmi cette sélection de 31 espèces retenues dans la demande de dérogation, seules deux vont bénéficier de mesures compensatoires : une telle minimisation de la responsabilité de ce projet sur les espèces protégées ne manque pas de surprendre le CNPN. »
« En ce qui concerne les oiseaux, le CNPN considère que les mesures de réduction ne permettent pas de considérer que les impacts résiduels sont non significatifs. Si le pétitionnaire n’est pas en mesure de proposer des mesures compensatoires effectives pour tendre vers l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité, la loi prévoit que le projet ne peut être autorisé en l’état. »
« Le pétitionnaire a de toute évidence minimisé les impacts résiduels et donc la liste des espèces pour lesquelles il demande une dérogation, ce qui l’expose à de forts risques de poursuites pénales. »
Cette situation résulte en réalité de la chronologie du projet dont la zone d’implantation a été définie, sans réelle choix alternatif, avant toute étude d’impact, cela en contradiction avec les dispositions de la Convention d’AARHUS directement applicables.
Vulnérabilité stratégique
Les stratèges de tous pays soulignent la montée des risques des infrastructures en mer dans le nouveau contexte géostratégique : gazoducs, oléoducs, fibres optiques et câbles électrique, mais aussi plateformes pétrolières ou postes électriques éoliens sont partout sous la menace de toute entité étatique ou terroriste ayant des capacités de plongée. Les 50 parcs éoliens offshore qui devraient border tout le littoral français seraient autant de sentinelles avancées concentrant 20% de la puissance électrique du pays… Plus vulnérable que la centrale nucléaire voisine de Gravelines, le parc éolien de Dunkerque, avec son poste électrique en mer de 600 MW constituera un tel point de fragilité du système électrique français.
Notons que prenant en compte de tels risques, la Belgique voisine a pris l’initiative de réunir six pays riverains de la mer du Nord (Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Norvège, Royaume-Uni et Danemark) dans un pacte destiné à sécuriser leurs infrastructures critiques sous-marines (plateforme sécurisée NorthSeal).