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Propos recueillis par Loïc FABRÈGUES.
Publié le 17/03/2025
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ENTRETIEN. Éolien en mer : « Les développeurs ont un devoir de vigilance envers les sous-traitants »
Annie Launay est responsable conformité et relations commerciales au sein du groupe Capefront Energies. Son travail consiste à aider les entreprises à se mettre en conformité avec la législation française des étrangers travaillant à bord des navires sur les parcs éoliens offshore. Un sujet « complexe dont les règles sont encore mal connues », estime-t-elle.
« Un bateau étranger qui vient dans les eaux françaises pour y travailler doit faire une déclaration préalable d’activité », rappelle Annie Launay. | CAPEFRONT ENERGIES
Les acteurs de l’éolien offshore doivent aussi se conformer, avec le développement de ce secteur relativement jeune, à une réglementation précise mais parfois difficile à appréhender. Annie Launay, responsable conformité et relations commerciales au sein du groupe Capefront Energies, constate une méconnaissance encore importante des règles par les développeurs qui composent avec de nombreux sous-traitants.
De nombreux navires battant pavillon étranger travaillent dans l’éolien en mer en France. Que dit la loi pour encadrer leur activité ?
Pour faire simple, il faut respecter les règles de l’État d’accueil. Concrètement, il s’agit des normes françaises en matière de couverture sociale, rémunération, organisation du temps de travail, appliquées dans la même branche d’activité. Au niveau de la couverture sociale, les personnels à bord doivent justifier d’une affiliation à un régime européen (certificat A1) ou disposer d’un justificatif d’affiliation à un pays avec un accord bilatéral sur la sécurité sociale couvrant les quatre branches (santé, chômage, retraite, famille). En l’absence d’un certificat A1 ou de cette affiliation qui est très rare, il convient d’affilier les personnels au régime de sécurité sociale français. Les entreprises peuvent le faire elles-mêmes en passant par la caisse de sécurité sociale des étrangers qui est l’Urssaf d’Alsace-Lorraine. Cela peut s’avérer complexe et de plus en plus de sociétés font appel à des entreprises comme la nôtre qui emploient alors leurs personnels pour les rotations en France.
Pour les parcs éoliens en mer, les développeurs sous-traitent leur construction à des entreprises de travaux maritimes qui elles-mêmes vont avoir des sous-traitants. Comment se répartissent les responsabilités ?
Le donneur d’ordre a un devoir de vigilance envers ses sous-traitants concernant le travail dissimulé. Il se doit de s’assurer que ses sous-traitants sont en règle et à jour de leurs obligations sociales. À ce titre, il doit produire un certain nombre de documents qui seront vérifiés par les autorités. Ainsi, si un armateur ne respecte pas les conditions sociales de l’État d’accueil, le donneur d’ordre est solidaire au regard de la loi. S’il n’a pas respecté son devoir de vigilance et qu’un manquement est observé par les autorités, il peut être inquiété. Il est solidaire de ses sous-traitants et, par extension, des sous-traitants de ses sous-traitants.
Si un armateur ne respecte pas les conditions sociales de l’État d’accueil, le donneur d’ordre est solidaire au regard de la loi — Annie Launay
Ces dispositions sont-elles connues et appliquées ?
Elles sont encore mal connues. Les chantiers des parcs éoliens en mer sont assez récents en France. Beaucoup d’entreprises, de bonne foi, se croient protégées en mentionnant dans leur contrat de prestation que le sous-traitant doit être en conformité avec les règles françaises mais oublient qu’elles ont un devoir de vigilance. De plus, les règles peuvent être difficiles à interpréter. J’ai été interrogée par une entreprise qui pensait être en règle. Elle employait à bord des marins indonésiens sous contrat de travail italien. Pour être affilié à un régime de sécurité sociale européen, il faut être résident d’un État membre. Les marins en question étaient résidents indonésiens et non italiens. Ils n’étaient donc pas couverts par le régime de sécurité sociale européen. Il aurait fallu pour être en règle qu’ils soient a minima résidents italiens associés au régime du pays avec un contrat de travail italien et une rémunération au niveau français. D’autres entreprises savent qu’elles ne sont pas en règle mais font perdurer ces pratiques car elles sous-estiment l’impact.
À quelles peines s’exposent-ils en cas d’irrégularités ?
La loi prévoit des sanctions à la fois financières et administratives : arrêt de chantier, immobilisation du navire voire peines d’emprisonnement.
Faut-il s’interroger sur les navires sous pavillons des Bahamas ou du Vanuatu qui servent parfois de « chiens de garde » sur certains chantiers de parcs éoliens en mer ?
Quand vous entrez dans les eaux territoriales françaises avec un bateau battant pavillon étranger pour y travailler, vous devez effectuer une déclaration préalable d’activité. Elle se complète en ligne auprès de la Direction départementale des territoires et de la mer et, au plus tard, dans les 72 heures qui précèdent le début de l’activité. Cette déclaration s’accompagne de documents et certificats propres au bateau ainsi que les matrices des contrats de travail et bulletins de salaire pour les différentes catégories employées à bord (marins, non marins, officiers). Si ces déclarations ne sont pas faites, des bateaux peuvent passer sous les radars. Les déclarations peuvent aussi être faites sans que les observations de l’administration soient prises en compte.
Qu’en est-il des contrôles des navires ?
Les contrôles sont effectués par les inspecteurs du travail et/ou les agents des affaires maritimes. Ils sont habilités à monter à bord à tout moment. Les contrôles se font à la fois sur site et sur pièces administratives. Ce qui importe surtout pour les armateurs, c’est d’anticiper et ne pas découvrir au moment de cette déclaration d’activité l’étendue des obligations à respecter.
Vous travaillez sur ce sujet des travailleurs étrangers dans les énergies marines renouvelables en France depuis trois ans. Avez-vous vu des évolutions ?
Le sujet commence à être appréhendé et certains acteurs montrent une vraie volonté de se conformer aux règles. Je constate néanmoins que, pour les donneurs d’ordre eux-mêmes, l’obligation de vigilance n’est pas simple à organiser. De plus en plus d’entreprises nous sollicitent pour les accompagner sur ce volet. Nous sommes d’ailleurs en train de développer une solution digitale pour faciliter cette opération pour les armateurs tout en leur apportant un véritable conseil. Il y a un gros travail de pédagogie à mener.