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Eolien en mer, la foi ou la raison
Monsieur le Président,
La presse européenne (site EURACTIV du 15 février) a rendu compte de votre prestation lors de la cérémonie des vœux aux Bretons de Bruxelles, le 23 janvier dernier.
Nous relevons que, comme il est constant dans vos déclarations, vous avez insisté sur les ambitions de la région Bretagne en matière d’énergie et plus particulièrement d’éolien en mer, secteur dont vous souhaiteriez qu'elle devienne le leader en France ; après la construction des parcs de Saint-Nazaire et de Saint-Brieuc, où vous n’hésitez pas à voir des succès, malgré les déboires sérieux du parc de Saint-Nazaire dont la production 2023 a été très décevante, voilà que vous poussez à l’accélération de nouveaux projets, dont celle du parc flottant Bretagne-Sud au large de Groix et Belle-Île, localisé hâtivement en 2021, à la désolation de la présidente de la CNDP d’alors, Mme Chantal Jouanno. Nous avions déjà noté vos vastes ambitions lors de vos déclarations à Lorient, le 8 juin 2023, où vous escomptiez l’équivalent de 10 EPR sur nos côtes.
Il est pourtant aujourd’hui courant d’anticiper la pléthore d’énergies renouvelables intermittentes en projet partout en Europe, dont les périodes incontrôlables de surproduction vont déstabiliser profondément les marchés de l’électricité.
Plus audacieux que la plupart des ingénieurs, vous faites fi des incertitudes techniques de l’éolien flottant (quels flotteurs, quels ancrages, quelle fiabilité, pour quels prix) ; alors que le premier parc flottant industriel (Hywind Ecosse) se prépare à remorquer ses machines à travers toute la mer du Nord pour aller les réparer en eaux profondes en Norvège, vous-même, sans idée de la disponibilité technique réelle de tels engins, ni de leurs coûts de maintenance, vous affirmez votre conviction : la France doit brûler les étapes vers l’éolien flottant, sans doute pour la gloire de la Bretagne et de son Président…
Pourtant les usines éoliennes en mer, comme l’ensemble des sources électriques aléatoires et intermittentes, à mesure que leur place croît dans le mix électrique national, se révèlent inadaptées à s’intégrer simplement dans notre système électrique, structuré autour des énergies concentrées, fiables et pilotables, que sont le nucléaire et l’hydraulique. C’est au prix de centaines de milliards d’euros que leur insertion difficile dans l’existant se paye (restructuration des réseaux locaux, HT et THT, stabilité, nécessité de manipulations parfois autoritaires de la demande, back-up par des centrales pilotables en périodes non ventées, générant la redondance des puissances installées… à quoi s’ajoute aujourd’hui le coût de leur sécurisation par les forces de la défense nationale).
Prophète technique, mais financier imprévoyant, votre vision simpliste de la question énergétique vous conduit à programmer pour les entreprises et la population (vos électeurs) un doublement rapide des factures d’électricité.
Fier pour la Bretagne, vous n’hésitez pas à rêver de son indépendance électrique, évocation surannée des temps d’avant la solidarité technique des interconnections, et vous voyez probablement un moyen d’y parvenir dans ces projets fous d’éoliennes littorales (un autre visionnaire, le président Macron, rêve d’en installer cinquante parcs pour 45 GW dans les 25 ans à venir). C’est compter sans le caractère têtu des électrons ; ceux des grandes éoliennes industrielles sont dirigés vers le réseau national 225-400 kV, qui fonctionne comme une gigantesque plaque de cuivre continentale. L’énergie produite, d’où qu’elle vienne, est attirée par les grands flux et s’en va aujourd’hui – quand il y a du vent - décarboner en priorité les centrales au gaz ou au charbon des pays voisins, voire perturber l’exploitation et la sûreté du parc nucléaire français. L’habitant de Saint-Brieuc, de Brest ou de Saint-Nazaire n’en tirera rien, celui de la Ruhr, d’Italie du Nord ou de Silésie bénéficiera d’une amélioration de la qualité de l’air, payée par les Français, au prix du saccage de nos côtes, de la misère des professions de la mer, et surtout des subventions publiques sans fin, financées par vos électeurs et versées par la France aux industriels de l’éolien et à leurs actionnaires.
Monsieur le Président, vous vous trouvez face à un choix entre la foi et la raison.
A l’instar de l’évolution qu’est en train d’opérer le parti travailliste britannique de Keir Starmer, la Bretagne a besoin d’une profonde remise en question de ses options énergétiques ; nous vous souhaitons d’en être l’instigateur.
Les Gardiens du Large